Les 4 Merveilles de Huy:

LI BASSINIA

La fontaine de la Grand’Place de Huy avant son démontage en 2009 (Catherine Péters ©Service public de Wallonie – D. Pat).

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La fontaine de la Grand-Place de Huy est un monument classé par un Arrêté royal du 1er octobre 1933 et figure dans la liste du patrimoine exceptionnel de Wallonie. Depuis le XVIIe siècle, semble-t-il, quatre bacs de calcaire entourent le grand bassin de br onze auquel le monument doit son surnom. Les bacs alternent avec des supports auxquels sont fixées les branches d’un haut dais de ferronnerie. Le dais actuel date du XVIIIe siècle alors que les bacs et supports de pierre bleue ont été remplacés en 1881.

Le groupe sculpté de 1406, représentation symbolique de la ville de Huy, le donjon au centre, entouré de 4 tours d’enceinte et de 4 personnages emblématiques (Laurence Baty © Service public de Wallonie – D. Pat).)
3. Le cwèrneu, du beffroi de la ville (Catherine Péters ©Service public de Wallonie – D. Pat).

La partie la plus ancienne de la fontaine est en cuivre, bronze et/ou laiton, les analyses le détermineront. Un groupe sculpté se dresse au centre du bassin métallique : une vasque posée sur une colonne annelée porte un petit réservoir en forme de donjon crénelé. Le réservoir/donjon est entouré d’une représentation symbolique de la ville composée d’éléments fixés sur le bandeau de la vasque : quatre tours-portes crénelées dotées de gargouilles serpentiformes alternent avec quatre personnages emblématiques. Ils sont interprétés comme étant sainte Catherine, en référence à la paroisse où sourd l’eau qui alimente la fontaine, Mengold et Domitien, les saints patrons de la ville, et un comte de Huy dont l’identification est moins évidente (Lemeunier, 2004).
La petite vasque porte à son revers une inscription en caractères gothiques précisant qu’elle a été faite en 1406 ; un acte passé en 1407 entre la Ville et les propriétaires d’un puits, certifie l’origine du captage d’une source à environ 1 km de la fontaine, dans la vallée du Hoyoux, rivière qui se jette dans la Meuse à Huy. Les gargouilles des tours crachent l’eau venant du donjon dans la grande cuve de bronze de 2.20 m de diamètre et 45 cm de profondeur qui paraît contemporaine de la partie supérieure formée par le groupe sculpté. L’eau s’écoule du grand bassin par quatre perforations ornées d’appliques à tête de lion, dans les grands bacs de pierre périphériques d’où elle se dirige vers les avaloirs installés dans le sol. La statuette en bronze représentant le cwèrneû ou sonneur de trompe, guetteur du beffroi de la Ville, a été ajoutée en 1597 au sommet de la fontaine.

La restauration

L’état des bronzes anciens et la désolidarisation progressive des grands bassins et socles de pierre poussent la ville de Huy à entreprendre la restauration du monument en 2006 et à demander l’ouverture d’un certificat de patrimoine.
Le certificat de patrimoine est la procédure préalable nécessaire à la préparation du permis d’urbanisme dans le cas d’un monument classé. Un comité d’accompagnement détermine et fait réaliser les études préalables nécessaires à la connaissance du monument et de son état, aide à la réalisation du cahier des charges. Ce comité est composé comme suit :

  • Le maître de l’ouvrage : la Ville de Huy (www.huy.be)
  • Service du patrimoine : Stéphanie Ratz
  • Service des travaux : Charles Fauville et Michel Delchambre
  • L’auteur de projet : Paul Hautecler, cabinet d’architecture pHD
  • Le Service public de Wallonie : Direction générale opérationnelle de l’aménagement du territoire, du logement, du patrimoine et de l’énergie (DGO4).
  • Département du patrimoine, Direction de la restauration : Marianne Francotte, architecte.
  • Direction extérieure de Liège 2, Service des monuments et sites : Daniel Marcolungo, historien de l’art.
  • Direction extérieure de Liège 1, Service de l’archéologie : Catherine Péters, archéologue.
  • Un représentant de la Commission royale des monuments, sites et fouilleswww.crmsf.be.

La fontaine est un patrimoine exceptionnel et un monument cher au cœur des hutois, il est indispensable de se donner le temps nécessaire pour prendre les meilleures décisions en connaissance de cause et en garantir la sauvegarde par une restauration adéquate. Le monument sera rendu au public en bon état, fonctionnel et documenté par une publication complète des études réalisées, dans un ouvrage de qualité rédigé par les nombreux spécialistes impliqués. Études, rapports, gestion administrative, mise sur pied du projet, du financement (95% par la Région wallonne, s’agissant d’un patrimoine exceptionnel) et réalisation des travaux, tout cela peut prendre quelques années.
Les travaux se déroulent en 2 temps : une première phase comprend notamment le démontage de la fontaine, indispensable pour réaliser les examens préliminaires et permettre d’établir le programme de restauration. Cette première phase opérationnelle est presque terminée. En préparation à la seconde phase qui concerne la restauration proprement dite, plusieurs études préalables ont été menées, d’autres sont en cours.

Une intervention archéologique a été réalisée en 2009, pendant et après le démontage de la fontaine, par le Service de l’archéologie du SPW (DGO4, Direction extérieure de Liège 1). Il s’agissait de relever les éléments structurels de la fontaine mis au jour lors du démontage et d’investiguer le sous-sol dans un périmètre circulaire très limité. Un des buts de cette intervention était de détecter d’éventuelles causes d’affaissement des bacs et d’examiner les systèmes d’adduction et d’égouttage des eaux afin de définir les travaux de remise en état. Concernant les transformations et réparations opérées au fil des siècles, une recherche en archives doit compléter les données archéologiques.
En parallèle, une première étude de l’état des métaux a été menée par l’IRPA (Institut Royal du Patrimoine Artistique). Elle a porté sur les alliages et les pathologies et propose des analyses complémentaires et des pistes de restauration.www.kikirpa.be/FR/
Début 2011, un relevé 3D des parties en bronze a été commandé par le Service de l’archéologie et réalisé par la société Art graphique et patrimoine. Utilisé comme un moulage, il permettra si nécessaire de réaliser une copie des pièces et en tout cas de suivre l’évolution de leur état de conservation. www.artgp.fr/
Par sa nature, l’œuvre en alliages à base de cuivre hutoise peut être associée au programme d’étude générale des laitons mosans suscitée par la découverte récente de vestiges d’ateliers de dinanderie médiévaux à Dinant et Bouvignes. Ces recherches scientifiques et expérimentales  nécessitent des examens et analyses complémentaires qui ne sont pas tous utiles à la restauration du monument mais pour lesquels la dépose des éléments de la superstructure offre une opportunité extraordinaire.
D’autres examens sont programmés à brève échéance : étude systématique de la conductivité, analyses xrf et ICP-AES, radiographie aux rayons X, métallographies, tests de résistance à la corrosion…
Sur la base de certaines de ces études, un protocole de restauration spécifique aux éléments en alliage cuivreux sera établi et aidera à la rédaction du cahier des charges pour la restauration de l’ensemble du monument.

Les partenaires d’études :

  • Laurence Baty, photographe, Service public de Wallonie
  • David Bourgarit, métallurgiste, Centre de recherche et de restauration des musées de France
  • Virginia Costa, chercheuse indépendante
  • Gilberte Dewanckel, restauratrice, chef d’atelier des métaux, Département conservation-restauration, Institut royal du patrimoine artistique (IRPA, Bruxelles)
  • Gian Rouhi, restaurateur indépendant
  • Frédéric Taildeman, dessinateur-topographe, Service public de Wallonie
  • Nicolas Thomas, archéologue, Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP, France)
  • Françoise Urban, restauratrice
  • Jean-Marie Welter, ingénieur métallurgiste
  • Helena Wouters, chef de travaux, Département laboratoires (métaux), Institut royal du patrimoine artistique (IRPA, Bruxelles)

L’étude archéologique de la fontaine

Démontage de la fontaine en septembre 2009 (Catherine Péters ©Service public de Wallonie – D. Pat).

Le démontage de la structure périphérique en pierre installée en 1881 a révélé la présence d’un élément dont le souvenir s’était perdu depuis et qui semble être le support primitif du grand bassin de bronze de 1406. Il s’agit d’une maçonnerie de plan circulaire évoquant un puits, en calcaire mouluré mais fortement martelé.

Bassin de bronze reposant sur son socle en calcaire de Meuse mouluré (Catherine Péters ©Service public de Wallonie – D. Pat).
Base primitive de la fontaine dégagée jusqu’à sa fondation (Catherine Péters ©Service public de Wallonie – D. Pat).

Après dégagement, le support du bassin apparait complètement ; il est constitué de trois assises de blocs de calcaire taillé, posés sans liant visible et solidarisés par des agrafes de fer. Les deux assises supérieures, plus épaisses, sont moulurées ; l’assise inférieure est en ressaut et repose sur un muret de moellons. Elle fait partie de la fondation. Le sommet de la partie moulurée a le même diamètre que le fond du bassin de métal. Cet ensemble de trois assises de blocs sur un muret de moellons est posé sur un large radier de fondation de 8 m de diamètre et environ 80 cm d’épaisseur.
La maçonnerie de fondation compacte et dense est constituée de petits blocs de calcaire non équarris noyés dans un mortier de chaux et sable jaune ; au sommet, de grandes dalles de renfort sont installées sous la superstructure de la fontaine. Au sein de ce massif est construit un chenal radial de 60 cm de large et 80 cm de haut, en pierres de taille, qui se prolonge au-delà, sous le sol de la place. D’épaisses dalles de couverture protègent le tuyau de plomb qui passe dans le chenal pour alimenter la fontaine en eau. Le couloir se termine en cul-de-sac sous la superstructure de la fontaine ; à cet endroit la fondation présente un parement concave en moellons. La dernière dalle de couverture du chenal est découpée en arc de cercle et forme, avec le bord du radier parementé, une ouverture circulaire de 50 cm de diamètre par laquelle se dresse le tuyau de plomb, coudé à 90° au centre de la structure.

Le tuyau d’adduction en plomb sort du chenal au centre de la fondation et se dresse à la verticale dans la base de pierre (Catherine Péters ©Service public de Wallonie – D. Pat).

Fondation et chenal sont indubitablement contemporains, ce qui, ajouté aux données écrites (captage de la source en 1407), étaye l’hypothèse de la contemporanéité du socle en calcaire mouluré, posé sur la fondation, et des parties métalliques de 1406. De plus, le petit sondage qui a pu être fait à l’extérieur de la fondation montre par la typologie de la céramique découverte que le niveau contemporain de la construction date au plus tôt de l’extrême fin du xive siècle et du tout début du xve siècle. Quant aux traces d’outils visibles sur les pierres de taille du socle, si on se réfère à la chronologie établie par Frans Doperé pour les techniques de taille des calcaires de Meuse utilisés dans la construction de monuments datés par dendrochronologie, elles se situent dans la première moitié du xve siècle. Les replats sont taillés finement en oblique au ciseau, et terminés par une palette de contour (largeur : 3 à 3.5 cm). Tout paraît concorder pour prouver la contemporanéité de ces éléments structurels de la fontaine et éliminer le fait admis par tradition qu’elle puisse remonter au xiie ou au xiiie siècle : s’il y a eu une fontaine avant 1406 sur le marché de Huy, ce n’était pas celle-ci. À l’origine, seules les deux assises moulurées du « puits » étaient visibles ; l’assise inférieure, plus grossièrement taillée, devait être dissimulée dans le sol, sous un système d’évacuation du trop-plein constitué d’une hypothétique rigole et d’un bac de pierre servant à puiser l’eau.  En effet, le bord du bassin porte une perforation ancienne isolée et située dans l’axe du collecteur de pierre évacuant l’eau vers la rivière. Deux autres trous, également bouchés par des pièces de bronze, semblent prouver qu’il y a eu, durant une période indéterminée, deux bacs au lieu d’un. Les éléments constituant la fin du circuit d’eau et installés à l’origine sur la fondation ont été détruits par les aménagements postérieurs ; seul le collecteur extérieur est en partie conservé et a été réaménagé à plusieurs reprises.

L’eau s’écoule en fin de parcours dans un collecteur de calcaire qui la dirige vers la rivière (Catherine Péters ©Service public de Wallonie – D. Pat).
La fondation des bacs placés en 1881 réemploie des blocs sculptés du précédent état du monument (Catherine Péters ©Service public de Wallonie – D. Pat).

La fontaine est radicalement transformée au xviie siècle, puis restaurée de façon importante, « à l’identique », en 1881. Le renouvellement des quatre hauts bacs périphériques alternés avec les supports du dais de ferronnerie a nécessité la construction d’un anneau de fondation très solide au sommet du radier, récupérant en partie les pierres sculptées de la phase précédente.
Les bacs et pilastres sont adossés au support primitif mouluré dont les assises étaient décentrées et qu’il a fallu marteler pour bien ajuster le nouvel ensemble. Pour évacuer l’eau de ces bacs, un caniveau en collier reliant quatre avaloirs a été encastré dans le massif primitif.

Vue générale, en fin de fouille, de la base primitive posée sur sa fondation, du chenal d’adduction repérable par les dalles alignées de sa couverture et du système d’évacuation tel qu’il existe depuis le XVIIe siècle (Catherine Péters ©Service public de Wallonie – D. Pat).

Aucun défaut de fondation ne semble être à l’origine des récentes dégradations. Le fait que les énormes bacs de pierre bleue et les socles alternés n’aient pas été suffisamment solidarisés par les agrafes métalliques, combiné à la pression du dais de ferronnerie fixé aux socles, est peut-être à l’origine de cet écartement centrifuge des éléments.

Article copié sur http://www.laitonmosan.org/bassinia.html

Bibliographie

Buffet B. & Evrard R., 1950. L’eau potable à travers les âges, Liège, Solédi.
Comanne J., 1988. Le Bassinia de Huy au xviiie siècle, Bulletin de la Société royale Le Vieux-Liège, 240, janvier-mars, p. 367-374.
Discry F., 1951. Le bassinia de Huy et son Cwèrneû, La Vie Wallonne, xxv, p. 206-220.
Dubois R., 1910. Les rues de Huy, Annales du Cercle hutois des Sciences et Beaux-Arts, xvii, p. 279-285.
Fréson J., 1881. La fontaine de la Grande Place,  à Huy, Annales du Cercle hutois des Sciences et Beaux-Arts, IV, p. 183-186.
Legros E., 1949. A propos du pontia et du bassinia, Annales du Cercle hutois des Sciences et Beaux-arts, XXII, p. 134-137.
Lemeunier A., 2004. Huy. Le Bassinia, In : Deveseleer J. (coord.), Le patrimoine exceptionnel de Wallonie, p. 298-301.

En résumé…

Considérée comme une des quatre merveilles de Huy, cette fontaine publique a longtemps alimenté en eau potable la place du Grand-Marché.  Datant de 1406, c’est vers 1700 que le nom de Bassinia lui est attribué.

Le bassin central, en bronze, constitue la partie la plus ancienne de la fontaine, qui est alimentée par une source située dans le quartier Sainte-Catherine et ce, depuis ses origines. Le circuit s’effectue de manière naturelle, à l’exception des périodes de sécheresse pendant lesquelles le débit de l’eau est insuffisant et nécessite l’aide ponctuelle d’une pompe. Le bronze du bassin proviendrait de la fonte de la célèbre cloche hutoise Marie Hideuse, ainsi baptisée parce que sonnant les mauvaises nouvelles et les catastrophes depuis le beffroi aujourd’hui disparu.

Outre la cuve d’époque, il y aussi les quatre personnages en ronde-bosse rappelant divers épisodes historiques de la cité mosane : Sainte Catherine, originaire d’Alexandrie, dont le culte s’est répandu en Occident dès le XIIe siècle.  L’église tenue dans la main gauche de la statuette rappelle celle qui a été érigée en l’honneur de la sainte dans le quartier Sainte-Catherine, dont la source alimente la fontaine. Sont également présents saint Mengold, second patron de la Ville, décédé en 862, ainsi que saint Domitien, évêque de Tongres et de Maastricht et premier patron de la Ville de Huy.  Dans la main droite il tient un calice et dans l’autre, un évangéliaire. Terminons avec Ansfried, dernier comte de la cité, qui céda la ville à Notger en 985. En 1597, le pilier central avait été orné d’un autre personnage, le  Cwèrneû, un joueur de trompe, guetteur et sonneur du beffroi.

Des ferronneries viennent couronner le bassin en 1733, dues au maître Gabriel Levasseur, artiste serrurier.  L’aigle bicéphale souligne l’appartenance de la Principauté de Liège au Saint-Empire germanique sous l’Ancien Régime. Des bassins en pierre complètent l’ensemble au 18e siècle, entièrement rénovés en 1881.  Des inscriptions célèbrent les noms des bourgmestres ayant œuvré à l’érection et au maintien du Bassinia.

Découverte exceptionnelle et classement de la source du Bassinia

Le démontage intégral du monument a permis de vérifier le système d’égouttage de l’eau provenant de la source de Sainte-Catherine et de mettre à jour la fontaine originelle qui est actuellement visible sur la Grand-Place.

Des fouilles archéologiques ont été menées à cette occasion.

Une demande de classement de la source du Bassinia, située dans le quartier de Sainte-Catherine, et du bâtiment l’abritant, de la même époque que la fontaine, avait alors été introduite. L’extension du classement a été reconnu le 14 juin 2013 : le captage et sa tourelle sont classés comme monument et le tracé supposé du chenal d’adduction comme site, pour son intérêt archéologique. L’ensemble constitue, avec la fontaine, un ouvrage hydraulique médiéval remarquable.

La fontaine médiévale est alimentée par un puits de captage situé environ un kilomètre en amont, dans la vallée du Hoyoux. Situé à l’époque sur un terrain privé, le puits avait été exproprié pour un usage public contre certains avantages décrits dans un acte de 1407 qui entérine cette décision.